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Article : Origine, dette et dépassement du trauma

Updated: Apr 13, 2022

Parler du traumatisme c’est déjà aborder sa définition, comprendre son essence et savoir le rôle que joue le refoulement à l’angoisse dans son dépassement. Car, il faut bien le dire, le dépasser, c’est en quelque sorte faire preuve de résilience.



« Le traumatisme est un événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité dans laquelle se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, les bouleversements et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique.


En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ses excitations. »[1]


Pour entrer dans le vif du sujet, ou plutôt, pour éclairer notre propos, voyons comment les apports étymologiques et étiologiques sont essentiels pour comprendre les mécanismes de défense liés au traumatisme. Ceci nous invitera à en énumérer quelques-uns sans être exhaustif. Puis, l’illustration nous poussera à investiguer la place de la dette et de la culpabilité qui est générée. Enfin, nous verrons celle du dépassement dans le traumatisme et les perspectives qu’elle laisse au sujet.


1/ APPORTS ETYMOLOGIQUES ET ETIOLOGIQUES DU TRAUMATISME, SOURCE, ORIGINE : Une Approche Globale


De traumatique avec le suffixe -isme, du grec ancien, traumatismos (« action de blesser »), le "Traumatisme" a débuté son parcours en médecine, puis en chirurgie. Le terme exprimait et exprime encore le fait de créer une blessure avec effraction. Mais si par le passé, celui-ci concernait plus spécifiquement le corps, il est devenu avec Charcot, puis avec Freud, le symbole de l’effraction psychique.


L’événement traumatique renvoie au concept économique puisque « l’expérience vécue apporte, en l’espace de peu de temps, un si fort accroissement d’excitation à la vie psychique que sa liquidation ou son élaboration par les moyens normaux et habituels échoue, ce qui ne peut manquer d’entraîner des troubles durables dans le fonctionnement énergétique ».[2] Nous le comprenons, le pare-excitation est à ce moment débordé.


Cette charge émotionnelle non contrôlée et qui dépasse les ressources du sujet s’exprime par un trouble de stress post-traumatique. Rares ne sont pas les troubles de l’humeur, les troubles de la personnalité, de l’alimentation, … Rares ne sont pas également les symptômes dissociatifs et les troubles psychotiques aigus, … qui envahissent le sujet, incapable de se « sortir » de, ou de reboucher « l’effraction ».


Il y va donc de la perte d’un proche, d’un viol ou d’un abus sexuel, d’un accident avec blessure associée, ou non d’ailleurs, d’harcèlement moral, de violence conjugale, d’endoctrinement, de menace, de témoin d’un événement traumatisant, d’événements naturels (cyclone, séismes, éruptions volcaniques), de guerres ou de violences aggravées durant la guerre, d’exposition à long terme à la pauvreté et à toutes formes d’agression ou d’humiliation.


Mais quelles sont les origines du traumatisme ? En réalité, il n’y en a pas puisque pour un même traumatisme, les sujets y répondent différemment. Le traumatisme n’existe donc que par l’effroi lié à l’effraction et son intensité. L’effroi, ou l’explosion pulsionnelle, est tel qu’il laisse un trou, un vide, une sidération qui figent la victime, la tétanisent. L’esprit ne pense plus, il ne le peut plus, il est dans le vide du réel, car ce qui est ne peut être réel.


Dans les Etudes sur l’hystérie, Freud montre comment plus il pénètre en profondeur les souvenirs des patients, plus ces souvenirs se présentent avec difficulté jusqu'au moment où il rencontre le « noyau central des souvenirs » dont le patient persiste à nier l’existence. Il pose alors la question suivante : « S’agit-il réellement de pensées inachevées ayant simplement eu la possibilité d’exister ? En pareil cas, la thérapeutique consisterait-elle simplement en l’achèvement d’un acte psychique resté jadis inaccompli ? »[3]


Freud ne cesse de s’interroger puisqu’il estime que le sujet remanie après-coup les événements passés et que c’est ce remaniement qui leur confère un sens et même une efficacité ou un pouvoir pathogène. Le 6/12/1896, il écrit à W. Fliess sur ce sujet : « … je travaille sur l’hypothèse que notre mécanisme psychique s’est établi par stratification : les matériaux présents sous forme de traces mnésiques subissent de temps en temps, en fonction de nouvelles conditions, une réorganisation, une réinscription ». On parle alors d’illusion rétroactive, et Jung dira, lui qu’il s’agit de fantasmes rétroactifs.


Mais si le sujet réinterprète son passé dans ses fantasmes ce qui constitue autant d’expressions symboliques de ses problèmes actuels, c’est pour mieux fuir dans un passé imaginaire, les demandes de la réalité présente.


Et que demande-t-elle cette réalité présente sinon de revivre le traumatisme qu’on s’évertue à fuir et à cacher. Le cercle sans fin dirait-on.



2/ MECANISMES DE DEFENSE ET TENTATIVES DU REFOULE DE REFAIRE SURFACE


Nous l’avons vu ci-haut, le traumatisme, lorsqu’il est intégré comme tel, est soumis à des mécanismes de défense qui se jouent du sujet :


La reviviscence, l’évitement, les altérations négatives persistantes dans les cognitions et l’humeur, l’hyper-réactivité, ...


Les souvenirs pénibles, récurrents et involontaires sont envahissants. Les rêves ne sont pas rares d’autant plus qu’ils sont pénibles car le contenu et/ou l’affect sont liés à l’événement traumatique. Des réactions dissociatives, flash-backs, par exemple, apparaissent, dans lesquelles l’individu se sent ou agit comme si l’événement se reproduisait.


Revoir une scène de viol dans un film devient insupportable car l’association avec son propre traumatisme est immédiat, mais ce peut être aussi un film de guerre, d’attentat, … Les bruits et les sons de la vie courante peuvent également faire rejaillir des souvenirs parcellaires malgré toutes les tentatives d’éviter de repenser à son traumatisme. Car ces objets partiels n’ont plus de cohérence avec l’être, ils sont dissociés et rendent la vie insupportable car tout cela n’a pas de sens. Ce qui est arrivé n’a pas de sens, s’en être sorti(e) n’a pas de sens, avoir secouru des victimes n’a pas de sens non plus, j’aurais pu être sur la liste se disent les victimes. On ne peut, à l’heure du traumatisme, raccrocher au symbolique. Il n’y a plus de symboles, ni de réel, il n’y a qu’incompréhension.


3/ DETTE, CULPABILITE ET DEPASSEMENT DU TRAUMATISME ET APRES-COUP


Pourquoi en suis-je sorti(e) ? Ce serait là, la question majeure car la survivance interroge. Est-ce une divinité supérieure qui a décidé que je survivrai ? Serait-ce une force surnaturelle ? Qu’est-ce qui fait que je méritais plus que le (les) autre(s) de réchapper ? Des questions qui resteront sans réponse et qui participent de la culpabilité.


Dans l’étude de ce qu’est la dette et le dépassement du traumatisme, il nous semble important de ne pas négliger les avancées en neurologie depuis les années 2000. Le circuit neuronal autonome met la physiologie au cœur du mécanisme traumatique. En quelque sorte, un mécanisme de défense « du corps ». [4]


Egalement, pour les théoriciens de l'EMDR, « les pathologies d’origine traumatique doivent être considérées sur un plan psychoneurologique. Elles n'apparaissent plus seulement sur un plan sémantique, comme dues à la confrontation du sujet au réel, mais dépendantes d'un processus neurologique. Ce processus oppose un principe de survie et un principe de traitement de l’information. Pour simplifier, celle-ci durant la phase de relâchement parasympathique passe d’une zone de stockage provisoire (l’hippocampe) à une zone de stockage à long terme (le cortex cérébral). Mais quand une victime d’un traumatisme relâche son contrôle elle revit l'événement et elle se sent de nouveau en danger, ce qui stoppe aussitôt le processus de traitement. L’information reste donc en l'état et se présente sans cesse à la conscience ».[5]


Nous voyons ici le problème de la continuité de la vie après une « rupture » du lien qui mène la vie d'un point « a » à un point « b ». L'EMDR, permettant par la double concentration à retravailler le cœur du traumatisme tout en gardant sa concentration sur un autre agir.


Ne voyons-nous pas l'histoire du « lien » ici, tant pour les avancées en neurologie, que pour l'EMDR ? Et si on ajoute aussi toutes les sortes de traumatismes qui mettent à mal « l'estime de soi » et qui « coupent ou effilochent » le lien de soi à soi, notre fil conducteur, alors, il nous est plus aisé de comprendre que le traumatisme est une « rupture de sens » de la vie. Comment continuer de vivre harmonieusement dans son environnement en ne se « reconnaissant plus », en « n'étant plus celui ou celle d'avant ».


Mais recréer le lien ou retendre le fil entre le passé ou l’événement traumatique dans la cure psychanalytique c’est quelque part, apporter une compensation, participer du « pansage » du traumatisme en reconstruisant un sens qui semble à tout jamais perdu.



CONCLUSION

Le Traumatisme ne dépendant pas de l’intensité du trauma vécu, nous devons donc y voir la tolérance du sujet par rapport à ce qu’il vit à l’instant « t ».


On note par exemple que les personnes très angoissées ne développent que très rarement de Névrose Traumatique et son rarement sujettes à l’effroi, comme si leur angoisse habituelle les préparait en augmentant leur vigilance, leur résistance par rapport aux événements extérieurs. Finalement leur fort refoulement à l’angoisse les aide dans des situations dramatiques et surtout, elles ont plus de facilité à projeter sur un nouvel objet.


Au contraire, les personnes peu angoissées sont donc plus sujettes à l’effroi comme si leurs instances (pare-excitation) n’étaient pas préparées, leur pulsion de vie n’existent plus et mettent plus longtemps à réapparaître.


Boris Cyrulnik a d'ailleurs mis en exergue le phénomène de résilience qui participe du dépassement de ces traumatismes. Ses recherches et observations interrogent la notion « traumatismes » puisqu'en aucun cas nous ne pouvons affirmer qu'il y a un lien de cause à effet systématique entre un événement éprouvant et les conséquences émotionnelles ou d'identité qui en émanerait.


Boris Cyrulnik différencie ainsi le traumatisme de l’épreuve ? Ce qui nous ramène à la notion d'empreinte, de marque, de mise en relief même et qui permettrait la totale individualisation de la problématique : « J'ai subi une épreuve pénible, il s'agit de la mienne, unique et personnelle ».


Pour lui, les trois raisons qui empêchent la résilience sont l’isolement, car la solitude empêche de reprendre un développement. Le non-sens lorsque le sujet est dans l’impossibilité ou l’incapacité à faire le récit de son traumatisme. Et la honte. C’est la personne elle-même qui va se cacher, se protéger du regard des autres par peur des représentations mentales (jugements moraux, condamnations sociales).

Sans doute les prises en charge des victimes de traumatismes, quelles qu’elles soient, et quels qu’ils soient, devraient faire l’objet d’un projet sociétal qui permettrait de financer les cures psychanalytiques ou les psychothérapies. En effet, trop de sujets sont encore laissés à leur propre souffrance faute de moyens financiers, mais aussi faute de disponibilité de ressources humaines dans les institutions spécialisées (CMP, CMPEA, …).

[1] J. Laplanche et J.-B. Pontalis, « Vocabulaire de la psychanalyse », puf, 1967 [2] S. Freud, « Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1915-17

[3] Jean-Jacques Barreau, Topique 2006/2 (N°95), Du traumatisme à l’événement, pages 103 à 125. [4] Dr Muriel Salmona ; lire également l'article Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique des Dr P. Louville et M. Salmona, paru dans un dossier complet sur Le traumatisme du viol dans le numéro 176 de mars 2013 de la revue Santé mentale. Les critères de l'état de stress psychotraumatique sont détaillés dans le DSM-5 édité par l'American Psychiatric Association en 2015. [5]https://fr.wikipedia.org/wiki/Traumatisme_psychologique

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